Élevage et stress hydrique : quelles solutions pour sécuriser l’eau ?

#fermes 4 soleils
01 décembre 2025

Face au changement climatique et à la recrudescence des événements extrêmes, la disponibilité de l’eau s’impose comme un enjeu essentiel en élevage. Comment éviter le gaspillage ? Comment optimiser la ressource via un forage ? Où en est-on sur la récupération des eaux de pluie ? Les éleveurs du Club Fermes 4 soleils œuvrent activement à identifier des leviers d’action efficaces au sein de leurs exploitations. Leurs travaux s’inscrivent dans le projet européen Climate Farm Demo qui réunit cinq d’entre eux pour échanger et réfléchir à de nouvelles pratiques climato-intelligentes.

La France est sur une trajectoire de + 4 °C en 2 100. Ce scénario, considéré non pas comme pessimiste mais intermédiaire, sert de base au 3e Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc). Il s’accompagnerait, selon le Haut Conseil Breton pour le Climat, d’une baisse de 11 % des précipitations en période estivale à horizon 2025, avec, par conséquent, des étés de plus en plus secs et des étiages de plus en plus longs. En effet, en Bretagne, le nombre moyen de jours avec sols secs par an devrait passer de 125 jours à 154 d’ici le prochain siècle. Parallèlement, les épisodes de pluie extrêmes devraient s’accroitre, générant un fort aléa d’érosion des sols et des risques pour les cultures et infrastructures.

L’eau, premier aliment des animaux

Sur un total de plus de 320 millions de m3 prélevés en Bretagne, 25 % sont destinés à l’agriculture et répartis comme suit : environ 63 millions de m3 pour l’élevage et 20 pour l’irrigation (données de l’Agence de l’eau). On constate une légère hausse des prélèvements au cours des dernières années, qui s’explique notamment par l’augmentation des cheptels et des besoins d’irrigation.
Quel que soit l’atelier de production animale, l’abreuvement reste le premier poste de consommation. Il représente plus de 94 % de l’eau consommée en élevage porcin et 90 % en volailles. En vaches laitières, la part de l’eau consommée destinée à l’abreuvement est plutôt de l’ordre de 75 %. Le deuxième poste de consommation concerne le lavage des bâtiments, où subsistent des leviers d’économies non négligeables.

Le premier gain, c’est d’éviter la perte

Pour Laurent Guillot, spécialiste de l’eau en élevage, « le premier bon réflexe, c’est de contrôler ses installations en relevant régulièrement les compteurs. C’est obligatoire sur puits ou forage depuis 2009. » Au-delà de l’aspect règlementaire, ce type d’équipement facilite la surveillance des consommations et leur évolution, et permet de détecter toute sur ou sous consommation en un coup d’œil. « Une anomalie peut être le signe d’un pépin sanitaire comme d’une panne : abreuvoir bouché ou qui fuit, vanne de purge mal fermée… » Par ailleurs, la hauteur des installations (abreuvoirs, pipettes) doit être optimale pour faciliter le comportement d’abreuvement des animaux. C’est aussi le cas pour le débit d’eau. Une étude menée en 2022 dans 21 élevages de porcs de la Coopérative a pointé du doigt des écarts de débit de 0 à 6,50 l / min, pour une moyenne de 2,13 l / min, là où les recommandations en post-sevrage sont plutôt de l’ordre de 0,5 à 1 l / min. « C’est d’autant plus problématique lorsqu’il y a de la distribution de produits via l’eau de boisson (vitamines, vermifuges, vaccins) », ajoute Laurent.

Concernant le nettoyage des salles en élevage porcin, Laurent préconise un pré-trempage de 10 min toutes les demi-heures pendant 4h à 12h, « car les niveaux d’encrassement sont importants ». En volaille, les pratiques sont plus hétérogènes. « 70 % des éleveurs réalisent le pré-trempage, mais dans les faits, il n’y a pas d’impact sur la consommation d’eau. » Parmi les innovations récentes, la lance de nettoyage combinant un mélange d’air et d’eau permettrait de réaliser une économie d’eau d’au moins 30 %. Sur des équipements plus classiques, Laurent recommande de trouver l’optimum entre débit et pression : « Passer d’une pompe de 30 à 20 l / min baissera le débit, mais augmentera le temps de lavage. »

Créer ou régulariser un forage

Qu’il s’agisse d’alimenter tout ou partie de leur élevage, de nombreux agriculteurs disposent déjà d’un forage ou s’interrogent sur l’opportunité d’en créer un nouveau. Les questions sont alors nombreuses : mon ouvrage est-il conforme ? Est-il bien déclaré ? En cas de création, à quelle profondeur installer le dispositif de pompage ? Quels seront le coût et la durée des travaux ? Flavien Bouillis, chargé d’affaires chez Aquassys Dol Forage, met en garde sur le volet règlementaire : « Chaque forage doit faire l’objet d’une déclaration auprès du BRGM (Code minier). Les ouvrages supérieurs à 49 mètres linéaires doivent être déclarés auprès de la DREAL afin de déterminer si une étude d’impact environnemental est nécessaire. Puis, un dossier d’incidence forage doit être déposé à la DDTM ou à la DDPP. Il s’agit d’un document technique précisant la localisation, la profondeur et le débit estimé, l’usage prévu… Enfin, un rapport de fin de travaux comprenant un essai de pompage, établi par un hydrogéologue, permettra d’obtenir l’autorisation définitive de prélèvement et le débit d’exploitation adapté à votre ouvrage. » Ces étapes administratives coûtent environ 2 400 € (hors étude d’impact environnemental) et durent entre 4 et 6 mois. Selon le diamètre choisi pour le forage, le tarif peut différer ; en moyenne, il faut compter environ 60 € par mètre linéaire. « Ne pas réaliser ces dossiers, c’est comme acheter un tracteur neuf sans carte grise », conclut Flavien. Et d’ajouter : « Si votre forage n’a pas fait l’objet d’une déclaration, il est encore possible et fortement conseillé de le faire, afin de sécuriser durablement votre droit de prélèvement en eaux souterraines. »

Récupérer les eaux de pluie

Afin d’alléger le prélèvement sur les ressources habituelles, la valorisation des eaux de pluie se présente comme une nouvelle opportunité. « Après une évaluation qui tient compte des volumes d’eau récupérables sur les toitures, des surfaces disponibles non amiantées, des précipitations locales et des besoins de l’élevage, on évalue le ratio de collecte et les stockages nécessaires », explique Jérôme Roisille, chargé d’affaires chez Ocène. Cette eau exige différents traitements de filtration, de minéralisation, de potabilisation, et vient toujours en association avec les eaux déjà utilisées à l’élevage.  Elle trouve son usage du lavage à l’abreuvement. L’investissement est variable, entre 20 000 € et 40 000 € suivant les besoins de l’élevage. « On estime qu’il est rentable à partir de 200 truies, 3 000 m2 de poulailler ou 80 vaches laitières », complète Jérôme.

Notons tout de même que dans certaines filières comme la volaille ou le porc, des questionnements demeurent sur un éventuel portage viral, notamment en lien avec la grippe aviaire ou la peste porcine, ce qui appelle à approfondir les évaluations sanitaires.

Ils témoignent

Après la tempête Ciarán en 2024, le château d’eau a lâché et je n’avais plus accès à l’eau. Je me suis sentie vulnérable, alors que mes poules consomment 6 000 litres d’eau par jour.

Céline Éleveuse de poules pondeuses plein air Plounévez-Quintin

J’ai investi dans un équipement qui récupère et traite l’eau de pluie sur les bâtiments agricoles pour alimenter le lavage qui représente 1 000 m3 d’eau. L’investissement de 38 000 € a été financé à 40 % par le dispositif Agri Invest pour lequel la Coopérative m’a accompagné

Yohann Éleveur de porcs Trevron