Un marché de l’œuf sous tension

#volaille
10 janvier 2022

Covid-19, explosion des prix des matières premières, nouvelle réglementation de la bio… le marché de l’oeuf est malmené et la filière doit faire front aussi bien en amont qu’en aval. Explications croisées de Romain Guillet, nouveau responsable des productions avicoles et Patrice Sort, responsable négoce œufs chez Le Gouessant.

Quel est l’état du marché en pondeuse actuellement ?

PATRICE SORT : « Rappelons d’abord que l’œuf est un produit extraordinaire et pourtant simple, rustique et moderne à la fois, une protéine abordable qui jouit d’une très bonne image auprès du consommateur. Toutefois, le marché est perturbé depuis quelque temps. »

ROMAIN GUILLET : « Le marché n’est pas favorable. Nous faisons face à un surplus de production d’œufs bio qui sont déclassés pour partie. »

Quelles en sont les causes ?

P.S. : « D’abord, la mutation du marché s’accélère. Le consommateur se tourne de plus en plus vers l’œuf alternatif. Par conséquent, l’adéquation entre l’offre et la demande est difficile, ce qui rend l’exercice périlleux et très impactant financièrement. Ensuite, les coûts des matières premières ont explosé depuis octobre 2020, conduisant à une hausse des prix de revient de 15 %. Sans oublier l’augmentation des prix de l’énergie et des emballages ! Enfin, la lisibilité du marché post-Covid est compliquée. Durant le premier confinement, la demande en œufs a augmenté en GMS et la production a suivi. En parallèle, le secteur RHD s’est mis à l’arrêt. Un an après, les ventes ont chuté. Une partie de la marchandise n’est pas correctement valorisée. »

R.G. : « Le Gouessant a été précurseur dans le développement de l’œuf alternatif à partir de 1987. Quand, dès 2016, les distributeurs ont stoppé les contrats d’œufs de poules
élevées en cage, nous avons su prendre le virage. Malheureusement, aujourd’hui, les consommateurs se détournent de l’œuf bio car il est plus cher, et nous faisons face à une surproduction. »

Ces difficultés sont-elles durables ?

R.G. : « Avec les nouvelles normes sur la bio qui arrivent, nous aurons encore des difficultés au moins en 2022. »

P.S. : « L’impact financier est tel que la situation ne peut pas durer. Si on ne fait rien, le marché se rééquilibrera dans la douleur. La période sera extrêmement difficile au niveau financier comme social. La profession doit se réorganiser. »

Quelles sont les conséquences pour la Coopérative et ses adhérents ?

P.S. : « Le Gouessant va jouer son rôle de coopérative pour amortir la situation auprès des adhérents. Les producteurs sont protégés via la contractualisation qui garantit sur la durée un prix d’œuf indexé sur le prix de l’aliment. Leur responsabilité est de répondre parfaitement aux attentes des consommateurs en matière d’environnement, de bien-être animal et de traçabilité. Nous devons viser plus de qualité, de professionnalisme et de proactivité aussi bien à la Coopérative que chez les éleveurs. »

R.G. : « Concernant les producteurs, des décisions ont été prises avec les membres de la commission pondeuse puis validées par le conseil d’administration : rallonger les vides sanitaires de 15 jours, respecter le programme alimentaire et réformer les lots en adéquation avec le contrat de production. »

En bio, qu’implique la nouvelle réglementation et quelles seront les conséquences ?

P.S. : « Les poulettes devront avoir accès à un parcours extérieur le tiers de leur vie, et les poules pondeuses devront être nourries avec 100 % d’aliments bio. La principale conséquence est la majoration du prix de revient de 25 à 30 %. Notre Coopérative devra la répercuter aux clients, ce qui implique d’avoir une offre équilibrée et de poursuivre la montée en qualité dans nos élevages. »

R.G. : « La production de la poulette sera impactée avec un planning dédié et un nouvel itinéraire zootechnique à construire et à faire appliquer. Pour les éleveurs de pondeuses, cela va induire une perte de productivité de l’ordre de 5 à 8 %. »

Comment envisagez-vous l’année 2022 ?

P.S. : « C’est une année qui s’annonce mouvementée, du fait des difficultés du marché et la nouvelle réglementation bio. Par ailleurs, des interrogations subsistent. Nous ne connaissons pas encore le financement de l’ovosexage, amené à se développer en 2022 avant d’être rendu obligatoire au 1er janvier 2023. Concernant la loi Egalim 2, nous espérons qu’elle permettra d’équilibrer les relations entre les opérateurs. En plus, selon l’évolution de la pandémie de Covid-19, nous pourrions connaître une perte d’activité de la restauration commerciale. Une autre menace à craindre est l’influenza aviaire. Le virus peut revenir s’installer dans les élevages de l’Union Européenne et déséquilibrer l’offre. »

R.G. : « Nous voyons l’année 2022 comme un challenge à relever avec et pour nos éleveurs. »

Voyez-vous d’autres enjeux pour la Coopérative et les adhérents ?

« Nous traversons une conjoncture délicate. Les filières animales connaissent une situation de crise avec une explosion du prix des matières premières. L’enjeu sera donc, pour la Coopérative comme pour ses adhérents, d’être résilients pendant quelques mois. Le Gouessant dispose des compétences et des moyens pour anticiper les évolutions du marché, toutefois il est difficile de prédire quand la sortie de crise interviendra. Nous devons nous tenir prêts. L’approche globale entre les filières animales et végétales se révèle particulièrement pertinente et nécessaire dans les conditions actuelles. »